Tu prends la mouche, Morgan ?

Voilà un titre bien énigmatique ! Nous n’allons pas parler d’équidé, ni de piraterie, ni de logique mais de Thomas Hunt Morgan, prix nobel de son état.

Alors soyons clair entre les travaux de Mendel et de Morgan il y a 40 ans de différence. Dans l’intervale, les chromosomes ont été observés, les “lois de Mendel redécouvertes”, et l’hypothèse selon laquelle les chromosomes qui vont par paires, soient le « vecteur » de l’information génétique prédit par Mendel a été formulée.

Description de cette image, également commentée ci-après
Thomas Hunt Morgan (source Wikipédia)

 

Alors pourquoi T.H. Morgan est si important ? C’est ce que je vais essayer de vous faire ressentir.

T.H. Morgan est né 1 an après la publication de G. Mendel (en 1866) sur l’hybridation de végétaux. Il devient professeur associé en 1901. Quelques années plus tard il commence à travailler sur les mouches drosophiles (les mouches du vinaigre) qui s’avèrent être un modèle efficace pour étudier l’hérédité.

 

Description de cette image, également commentée ci-après
Mouche Drosophile (source Wikipédia)

 

  • Déjà, pourquoi la mouche ?

La mouche drosophile et plus particulièrement drosophila melanogaster (la mouche aimant la rosée au ventre noir, que c’est romantique …), c’est pas grand, donc ça ne prend pas trop de place. C’est facile à nourrir et donc économique. Ca se reproduit vite, donc ça permet de faire plusieurs générations en peu de temps. L’aspect de la mouche est connue et toutes modifications de ses caractéristiques physiques sont faciles à observer. Enfin, l’ensemble de son génome est compris sur 4 paires de chromosomes qui sont le matériel vecteur des gènes dans l’hypothèse “consensuelle” au moment où T.H. Morgan réalise ses travaux.

  • Mais qu’est ce qu’il a bien pu découvrir avec son équipe ?

Déjà, c’est le premier à décrire des caractères dont l’hérédité dépend du sexe. Chez les mouches drosophiles c’est le cas pour la couleur blanche des yeux, par exemple. (Il y a toute une analogie longue et fastidieuse avec des trains, des bus, des gares, pour expliquer tout ça, mais on va y surseoir.)

Ensuite, à l’instar des petits pois de Mendel, il va créer des lignées de mouches ayant des caractères distincts puis faire des hybrides. Sauf qu’il va aller plus loin que Mendel. Il va s’apercevoir que certains caractères physiques vont ségréger ensemble alors que d’autres sont totalement indépendants… Vous ne voyez pas ou je veux en venir ? …

Cela mérite un exemple :

[Disclaimer : les caractères sont fictifs, mais ça permet de se faire une idée, parce que c’est plus visuel que rouge brique et pourpre ou noir et gris]

On a

– des mouches “yeux violet” et à “l’abdomen vert” de « lignée pure »

Mouche Violet et vert

– des mouches “yeux jaune” et à “l’abdomen rouge” de « lignée pure »

Mouche Jaune et Rouge

On croise ces mouches et on obtient, la génération F1 :

  • Des mouches “yeux violet” et “abdomen vert”.

Notre hypothèse est donc que “yeux violet” est dominant et ”abdomen vert” aussi.

F1

 

Pour confirmer cela, on va prendre des femelles F1 que l’on va croiser avec des mâles aux yeux jaune et à l’abdomen rouge de nos lignées “pures” :

et on obtient 4 populations de mouche de la génération F2.

Disons que pour 100 mouches, il y a :

40 mouches “yeux violets” et “abdomen vert”

10 mouches “yeux violets” et “abdomen rouge”

40 mouches “ yeux jaunes” et “abdomen rouge”

10 mouches “yeux jaunes” et “abdomen vert”

Mouche F1 x Rece

[Disclaimer : oui c’est des chiffres inventés de toute pièce, mais quelque part des mouches au yeux jaunes et à l’abdomen rouge, vous vous attendiez à quoi ? Le but est de vous faire sentir le raisonnement]

 

Est ce que quelque chose ne vous semble pas un peu particulier ? 

On a des mouches aux yeux violets et à l’abdomen rouge et des mouches aux yeux jaune et à l’abdomen vert, alors que cette combinaison n’existait pas avant. Mais, plus bizarre, vous aviez remarqué qu’il n’y a pas 25 mouches de chaque combinaison ? Est ce que par tout hasard ces caractères ne seraient-ils point liés?


Spoiler Alerte :

OUI


 

Expliquons tout ça !

Déjà, on s’aperçoit qu’il y a 50 mouches avec les yeux violets et 50 mouches avec les yeux jaunes. Et pour l’abdomen c’est pareil, il a 50 mouches de chaque. Mais ça on l’attendait (Cf le chapitre 1)

Et la liaison entre la couleur des yeux et celle de l’abdomen ?

Rodin..PNG
Source : Natalia Moskovkina, CC by4.0

 

Pour expliquer ce phénomène on va jouer à trois petites expériences de pensée.

Pour la première expérience de pensée, je vous présente un sac où il y a autant de billes violettes que de billes jaunes (par pur hasard) et vous allez en tirer une aléatoirement puis je vous présente un autre sac où il y a autant de dés rouges que de dés verts (toutes comparaisons avec les mouches artificielles sont absolument fortuites …).

 

Sac de bille et sac de dé.PNG

A chaque fois que vous avez tiré une bille et un dé, vous notez la combinaison et vous remettez la bille et le dé dans leurs sacs respectifs.

Vous avez donc tiré un couple bille-dé

Bidet

 

Je vous laisse imaginer le nombre de couple bille-dé que vous pouvez obtenir et leur proportion respective.

La réponse est  : 4 couples et chaque couple correspond à 25% de tous les couples, ils sont équiprobable

Billes dés 25

Le tirage des billes et des dé sont indépendants, c’est assez évident puisque quelque soit le tirage des billes, vous tirez toujours dans le même sac de dés. Vous pouvez même commencé par tirer le dé d’abord puis les billes ensuite…


 

La deuxième expérience de pensée, c’est un total opposé. Je vous présente toujours le même sac de billes mais si vous tirez une bille violette, je vous donne un dé vert et si vous tirez une billes jaune je vous donne un dé rouge. C’est un peu comme si je vous laissais tirer un dé dans un sac ou il n’y qu’une seule couleur.

 

Bille dé déterministe

Il n’y a que 2 couple bille-dé et au bout d’un certain nombre de tirages il y aura 50% de chaque couple.

Couple Bille dé 50-50

Vous l’aurez compris, la couleur du dé est complètement dépendante de la couleur de la bille.


 

La troisième et dernière expérience de pensée est celle qui va nous intéresser le plus.

Je vous présente un sac où il y a autant de billes violettes que de billes jaunes, mais si vous tirez une bille violette, je vous présente un sac où il y a 4 fois plus de dés verts que de dés rouges (soit 4/5 de dés verts et 1/5 de dés rouges). Et si vous tirez une bille jaune, je vous présente un sac où il y a 4 fois plus de dés rouges que de dés verts (soit 4/5 de dés rouges et 1/5 de dés verts).

sac bille et dé non indépendant

 

Il y aura donc 4 possibilités de couple bille-dé :

bille violette – dé rouge

bille violette – dé vert

bille jaune – dé rouge

bille jaune – dé vert

 

Mais pas avec les même proportions

Bille dé 40-40-10-10

Et pour chaque couple on peut calculer leur probabilité : 

 

Probabilité des sacs

 

Cela ressemble furieusement aux mouches… c’est un peu normal, c’est voulu !
(NB : comprenez bien, que j’ai choisit volontairement et de manière arbitraire les quantité de dés dans les sacs, pour que ça corresponde avec les mouches)

Vous l’aurez remarqué, les tirages n’étaient pas indépendants mais pas non plus complètement dépendants comme dans la deuxième expérience de pensée.


 

Revenons à nos mouton, enfin à nos mouches.

T.H. Morgan va formaliser la liaison entre deux traits de caractère. Il comprend que la transmissions des caractères se passent un peu comme nos tirage de billes et de dé ou le sac de dé change en fonction de la bille que l’on obtient.
Il va même proposer le calcul suivant qui aboutit à la proportion d’individus (re)combinés (les nouveaux que l’on n’avait pas avant) :

Formul recombination

 

Pour notre exemple de mouches bariolées :

Mouche F1 x Rece

20%

 

Ce chiffre (20%) est la probabilité qu’il y ai un phénomène de recombinaison chez nos mouches de toutes les couleurs. De manière générale, il varie entre 0%, soit pas de recombinaison possible – c’est l’exemple du dé qui est imposé en fonction de l acouleur de la bille – et 50%, soit indépendance complète des caractères – cf. la première expérience de pensée.


 

On vient de voir « des trucs » de probabilité, ça nous apporte quoi sur la génétique ?

 

T.H. Morgan va grossièrement tirer2 conclusions :

  1.  que leurs gènes sont sur le même chromosome
  2. plus le taux de recombinaison est proche de 0% et plus les gènes sont près l’un de l’autre.

T.H. Morgan, grâce à cette deuxième hypothèse, va réaliser une carte de génome de la mouche en identifiant et en quantifiant la “distance” entre les gènes. Il propose même une explication du mécanisme par un phénomène nommé le crossing-over où les chromosomes homologues s’échangeraient leur bras. Hypothèse qui sera confirmée quelque temps plus tard.

 

 

Crossing Over.PNG
2 chromosomes s’échangeant des morceaux de chromatide via crossing-over (source : https://sandwalk.blogspot.com/2009/03/mitotic-recombination.html ) PS, c’est une image de recombinaison mitotique homologue mais ce n’est pas très important, c’est juste pour voir à quoi ça peut ressembler.

 

 

De plus, dans cette carte génétique de la drosophilia mélanogaster, on mesure la distance par le pourcentage de recombinaison et on appelle ça le centiMorgan (cM). 1 cM est égal à 1% de recombinaison entre 2 gènes.

D’autre part, on s’aperçoit que 2 gènes peuvent être sur le même chromosome et être indépendants s’ils sont « suffisamment loin » l’un de l’autre.

T.H Morgan, grâce à l’étude de la mouche, qui est un modèle dont la reproduction est rapide, l’élevage économique, l’observation relativement facile, dont la génétique est  “simplifiée” par le fait qu’il n’y ai que 4 paires de chromosomes (presque 3 en fait) et enfin qu’aucune recombinaison ne soit observée chez les mâles (c’est pour ça que j’ai précisé les sexes pour la génération F2), a très largement amélioré la théorie de l’hérédité mendélienne et pour certains, il a propulsé la biologie dans les sciences expérimentales. Pour ses travaux il recevra le prix Nobel et ses “disciples” qui ont poursuivi son travail, feront eux aussi parti des rares scientifiques à obtenir un prix Nobel.

Mais alors 1 centiMorgan ça fait quelle taille ?

Ca dépend de l’organisme qu’on étudie. Chez la mouche, je n’en ai aucune idée, mais chez l’homme c’est environ 1 million de paires de bases. Donc lorsque 2 gènes d’un même chromosome sont écartés de plus de 50 millions de paires de bases environ, ils sont indépendants et vont se recombiner librement. Et ça, c’est très, très pratique, mais c’est une autre histoire…


 

Merci d’avoir lu cet article, si vous avez des questions ou des remarques, je reste à votre disposition dans les commentaires ou sur les réseaux sociaux.


Source :
Concernant la vie de T.H. Morgan (dont les sources sont de qualités)
Concernant les précisions sur la mouche drosophile
Concernant le mécanisme de recombinaison et le crossing-over :
– Biologie Moléculaire de la Cellule, deuxième édition, au édition Flamarion (la troisième édition disponible ici)
-Le Collège National des Enseignants et Praticiens de Génétique Médicale (disponible ici)

Crédit image :
Les dessins de mouches, billes et dés sont libres utilisation non commercial, sans accord préalable.

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